(2001)
Dix ans de prison et 18 000 Euros d’amende, voici ce que risque, au Bengladesh, quiconque s’aviserait de fabriquer des sacs en plastique ordinaires, en polyéthylène, d’une épaisseur de 2 microns (µ) ou moins. L’utilisateur, quant à lui, encourt une pénalité de 9 Euros. La mesure date de mars 2002 et le public, semble-t-il, s’en débrouille. Des fanatiques ont conservé des poches de plastique, qu’ils cachent, pour aller au marché, dans les cabas en jute, une fibre végétale de nouveau très en demande. L’industrie locale du papier connaît aussi un boom (pour emballer les fruits). Le pays n’ayant pas de pétrole pour fabriquer le polyéthylène (PE), le gouvernement espère des économies de devises. Mais c’est parce qu’il y va de leur survie que les Bengalis acceptent l’interdiction.
Au pied d’un Himalaya déboisé depuis un siècle et demi et en bordure du Golfe du Bengale, le Bengladesh vit dans un immense delta, au rythme des crues. Le sac en PE y entre vers 1980 et vite prolifère : c’est l’objet occidental le moins cher, cependant les industriels en tirent 6 fois le prix de revient. Les sites de fabrication se multiplient : 16 en 1984, 300 en 90. Mais en 1988 et en 98, des inondations extrêmes submergent 2/3 du pays. On s’aperçoit que des sacs en PE, archi solides, obturent tous les canaux d’évacuation. Le journaliste Hossain Shahriar part en campagne pour leur prohibition. La presse de l’Asie le suit. C’est ainsi qu’un pays pauvre et menacé par la montée des mers – car son sol est très bas- a banni cet objet qui nous semble anodin.
Dès1999, en fait, l’état d’Himachal Pradesh, au nord de l’Inde et le Sikkim, qui vivent entièrement du tourisme, ont proscrit les sacs en PE et sanctionné les boutiques qui en proposaient. Le Népal, leur voisin, aimerait s’en défaire aussi, pour parfaire son image de montagne intacte dans le ciel. Les nombreux écologistes népalais détestent en particulier les sacs noirs (sacs poubelle), fabriqués, comme partout, avec des chutes de production de différents plastiques, qui peuvent contenir des toxiques, dangereux à brûler – façon traditionnelle d’éliminer les déchets, quand on n’en nourrit pas les animaux.
Par exemple, disent-ces écolos, certains plastiques contiennent du souffre (présent dans le pétrole brut) dont les fumées donnent dans l’air, avec la vapeur d’eau, de l’acide sulfurique – pluies acides sur les forêts, atteintes aux poumons. Ou, pire, le plastique PVC (polychlorovinyle) contient du chlore qui, en brûlant, dégage des dioxines (et de l’acide chlorhydrique). Ceci rappelle fort ce qu’on entend en France à propos d’incinération. Brûler des sacs en polyéthylène pur (transparents) en revanche, n’est pas nocif. Le PE ne contient que de l’hydrogène et du carbone – mais c’est ce carbone de pétrole, justement, dont la combustion chauffe l’air et menace le Bengladesh d’être englouti. De plus la molécule de PE, à température normale, reste indestructible. D’où son effet décoratif connu dans les paysages divers.
On considère qu’un sac en plastique met de 200 à 500 ans à disparaître dans la nature. Ce sont de simples estimations, rappelle Hilaire Beawa de l’ADEME, «on n’utilise le sac en PE que depuis 50 ans». Mais une chose est sûre, c’est costaud. Selon le journal Mumbai Central., le vétérinaire PS Lonkar en a extrait 46 kg de l’estomac d’une vache errant dans la ville de Bombay (comme partout en Inde). Par chance la bête a survécu. «Les ventres de nos vaches, sont distendus par les sacs d’épluchures qu’elles mangent sur la voie publique» affirme l’homme de l’art. Il a dû pratiquer la même opération sur divers pensionnaires du zoo, auxquels le public, attendri, portait des restes – dévorés avec le contenant. Dès mai 2002, Bombay a donc copié le Bengladesh en décrétant la même interdiction. Mais ça ne suffit pas, estime Lonkar, car le PE de plus de 2 µ d’épaisseur, toujours autorisé, «commet exactement les mêmes dégâts». On parle d’un nouveau seuil de 2,5µ, en espérant -ce que croit l’industrie-, que le public réemploie, sans les jeter, les sacs en plastique fort.
Aujourd’hui le sac en PE reste à Cuba une précieuse rareté, tandis que le Pakistan l’a proscrit, comme l’Afrique du Sud (qui en consommait 8 milliards par an) et l’île de Taiwan au 1er Janvier 2003. La Nouvelle Zélande examine la question. L’Australie lance la campagne “Ban the Bag” (Bannissez le Sac), et la Papouasie Nouvelle Guinée à travers la Papua New Guinea Coastal Cleanup Association en étudie l’interdiction. L’Irlande lève sur les sacs en PE une taxe de 10 centimes. L’Angleterre envisage de s’y mettre aussi. Et les organisateurs du festival du vent (musical) de Corte, militent depuis décembre 2002, pour leur interdiction totale en Corse. Ils ont des arguments.
Le WWF, Greenpeace et autres amis de la faune, nous le répètent depuis trente ans, les tortues de mer confondent le polyéthylène translucide avec d’appétissantes méduses, s’étranglent et en meurent. Les dauphins, eux aussi, qui n’ont pas bonne vue et se dirigent à l’oreille, s’asphyxient sur des sacs, parfois marqués, comble d’ironie : «surtout ne jetez pas, rapportez à la caisse». «Ils ne savent pas lire» plaisante (en riant jaune) François Galigani de l’IFREMER. Sa collègue Anne Collet, du Muséum d’Histoire Naturelle à la Rochelle, aurait compté 37 échouages dus aux sacs, pour l’année 17. Lui même connaît la question. Il étudie les déchets en mer depuis 75. Après 35 campagnes de chalutage et de plongée, sur les côtes de l’Europe, il est formel : les sacs en plastique constituent 80% des rebuts qui gisent par le fond.
Certains endroits les gardent. Le courant de Ligurie apporte des sacs en PE devant Nice. Un autre gros amas s’est formé par 650m. de fond devant Marseille, mais la situation se stabilise depuis que la ville emploie une station d’épuration munie de grilles, qui retient le plus gros. Le pire, c’est la côte Basque, très exposée aux détritus : l’hiver, un courant y arrive le long de l’Espagne, l’été, un autre y descend de la Gironde. Tout reste au coin de Biarritz, Bayonne et Cap Breton. Au point que la région Aquitaine paye les pêcheurs qui rapportent des déchets à terre. Ceux ci savent, d’ailleurs, que les sacs en PE causent parfois des avaries périlleuses en mer, d’hélices ou de pompes à eau.
Le chercheur en est venu à haïr ces pauvres sacs dont la France produit selon lui16 milliards par an. Et il n’est pas le seul. Mais comment faire ? Facile de transporter quelque panier pour faire ses courses, mais quid des achats de dernière minute ? C’est là que les nouveaux entrepreneurs dans le secteur écologique entrent en scène et nous proposent le sac biodégradable. Non pas à moitié dégradable, comme il y a dix ans, où l’on se contentait d’insérer un peu de végétal ça et là dans le PE, pour qu’il se fragmente. Les agriculteurs fatigués d’épandre du compost orné de bouts de plastique bleu n’en veulent plus. Un sac totalement comestible par les bactéries.
En Angleterre, on les fabrique en tapioca et la presse anglaise de titrer, très méchamment : «enfin du tapioca mangeable !» L’Italie élabore une susbstance d’amidon de maïs, transformée en sac, en France, sous le noms de biobag, par la société Yokozuna de Meaux. On enterre le sac, ou on l’incorpore au compost qui l’absorbe en deux ou trois mois. L’auteur de ces lignes s’y est essayé avec succès. La non toxicité de la matière et des encres sont certifiés par la norme EN 13432. «Dans l’eau propre au frigo, ça ne bouge pas, mais dans l’eau chaude au Bengladesh, avec un peu de boue, je ne leur donne pas une semaine » affirme Philipe Lebacq, de Yokozuna, complice du projet d’interdiction en Corse. Reste la question du prix.
Un fabricant du Gard, contacté par nos soins, distribue les sacs en PE, nus, sans inscription, pour 6 E le 1000, et ceux en papier (blanc) 14,3 E le 1000. Un sac biodégradable, en revanche, revient à 10 centimes d’Euros, si on les achète par 10 000 (1000 E). Il faut pouvoir se le permettre. De plus, tout le monde ne jouit pas d’un jardin. Un espoir pourtant se dessine. Certaines villes collectent déjà les déchets végétaux dans des grands sacs biodégrables. L’université du Bauhaus de Weimar, en Allemagne, a lancé l’expérience, avec plusieurs super marchés de Kassel, d’emballer certains aliments dans du plastique biodégradable – récupéré ensuite, par la ville, avec les déchets verts, et composté. Selon les premiers sondages, on se plaint que les aliments concernés soient peu nombreux; et même il semble qu’à Kassel on se trompe moins de poubelle qu’avant.
Pour Ça m’intéresse (juin 2001)