Murmures de Fukushima (et quelques précautions)

Le bruit nous vient très atténué de la réalisation des pires pronostics à 14 000 km. Beaucoup qui l’avaient vue venir ne bougent plus, de peur de déranger le fragile équilibre des chances, du hasard, que les autorités accusent de la catastrophe. Écrasés d’impuissance. Plongés dans la méditation du proverbe (juif dit–on), que mieux vaut avoir vaguement tort que complètement raison.

Seuls les anti nucléaires professionnels, qui passent leur vie de travail sur ce dossier, savent exactement quelle question poser, quelle information apporter. Le site Internet de la Criirad[1], de Valence, dans la Drôme, jamais autant consulté, publie entre autres des relevés de ses balises de surveillance de l’air .

1 becquerel (Bq) = 1 désintégration par seconde. Et selon ces mesures, 1 m3 d’air  en Provence, émet quelques milli Bq, soit mille fois moins.[2]

La Criirad analyse aussi les pluies, qui accélèrent les retombées, ce qui lui a permis de calculer, le 29 mars, un taux de cumul au sol d’iode 131, de 8,5 Bq par m2. Pour qu’il y ait danger, précise son président, Roland Desbordes, il faut des centaines de Bq au m2. Aucun risque pour l’instant. On devait atteindre la  dizaines de Bq à la mi avril, toujours selon l’association.

Pour vérifier ce point, affiner le propos, par téléphone, il faut allumer la box, brancher l’adsl et dépenser de l’électricité. Pour un simple coup de fil qui demandait auparavant 6 volts. Vingt ans que les écologistes ont changé toutes leurs ampoules et pourtant la consommation augmente sans arrêt. Pensez aux guitares électriques, ces beautés. Comme il semble loin le temps où Greenpeace organisait du rock and roll dehors avec des photopiles : le moindre village veut sa montagne d’amplis, le moindre concert un stade de sport.

Pour taper cet article, malgré les deux ou trois machines à écrire, dont une énorme, de rédaction, que je  conserve par précaution; pour rédiger seulement, il faut de l’électricité : faire chauffer un ordinateur à jour, aux normes Internet, sans quoi pas de publication.

On appelait cela : dématérialisation de l’économie, du support de l’information, fin de la presse papier. C’était censé sauver le climat en épargnant des arbres. Fukushima nous le murmure : la dématérialisation, c’est du  vent.

Rien de plus matériel que l’électricité, elle génère les déchets les plus lourds du monde. Les centraux d’Internet, sur le réseau, dévorent tant de courant que tels des petites centrales, ils exigent un refroidissement (par eau). Les portables contiennent des minéraux mortels comme le coltan, qui tue au Congo. Les ordinateurs désuets deviennent des déchets toxiques bien concrets.

Ce qui se dématérialise en fait, c’est le contenu, pas le contenant, la connaissance publique, l’information publiée, conservable, lisible à tout moment, à risque juridique donc vérifiée. Sa fiabilité, sa crédibilité.

Après le vote électronique, s’il s’impose, la numérisation des archives judiciaires, en cours, et celle, achevée, des statistiques officielles sur les rejets toxiques (autorisés) de l’industrie dans l’air et l’eau, ne resteraient que des données en ligne, susceptibles de disparition. Pire, falsifiables à souhait, du moins le semble-t-il. Le contenu de l’information devient suspect.

14 000 km et comme toujours, en matière de pollution, la topographie joue à fond. Le vent de Fukushima traverse les Etats-Unis 6 à 8 jours avant l’Europe, du fait de la rotation de la Terre. La météo s’en mêle aussi. Du temps de Tchernobyl, l’anticyclone de Sibérie rabattait l’air dans le sens des aiguilles d’une montre, de la Corse en Provence et vers le nord. Un autre exerce en France sa force centrifuge en ce moment.

Pour mémoire, selon la Criirad, Tchernobyl dans ce pays c’étaient 1000 à 200 000 Bq et davantage d’iode 131 par m2 de sol, selon les régions. De Fukushima n’arrivent ici que des murmures, mais insistants.

L’iode 131 prend huit jours pour perdre la moitié de sa radioactivité. Le Césium 137,  d’une demi vie de 30 ans, reste en dessous du niveau de quantification dans les retombées de Fukushima analysées par la Criirad, pour l’instant. Les gaz et particules continuent d’arriver. Vers le milieu du mois d’avril, la Criirad s’attend à mesurer en France une infime radioactivité des légumes « à large surface de captage : blettes et épinards », cultivés en plein champs ou arrosés avec de l’eau ayant reçu les retombées . Et quelques jours plus tard, du lait des animaux ayant mangé l’herbe du printemps (beaucoup restent au régime d’hiver). Elle recommande d’éviter aux enfants dès lors les légumes feuille, de passer au lait longue conservation et ne pas abuser de fromages, chèvre et brebis surtout. Inutile et toxique de prendre de l’iode : manger des aliments iodés suffit à saturer la thyroïde et protéger.

Mais le bruit circulait déjà, le buzz – bourdonnement – sur Internet, et les mères de famille ont bougé : on ne trouve plus guère d’algues dans les magasin bio.

La Criirad recommande encore d’arroser les plantes au pied, plutôt que sur le feuillage. Au sol, système ouvert, ou dans les mares et les fossés, les particules se dispersent, digérées par les vers, les insectes, les oiseaux etc. On peut compter sur une large diffusion, avec des points de concentration. On ne peut pas se protéger des rayonnements. On pourrait en revanche éviter l’erreur de rassembler les particules rayonnantes dans des systèmes fermés, comme les puits à ciel ouvert, en liaison directe avec la nappe, les piscines, les abreuvoirs, qu’il vaudrait mieux  couvrir.

La protection civile suisse enseigne ce geste : bâcher les puits et potagers, mais elle n’a pas lancé d’alerte à ce jour (12 avril). On sait par les études des pollution, que des végétaux absorbent des corpuscules (et les gaz liquéfiés par temps froid) dans le film d’eau présent sur leur feuillage. Certains comme les choux possèdent une cuticule crieuse qui retient les hydrocarbures, tel les suies grasses de diésel.  D’autres comme la sauge présentent une surface rugueuse, accidentée qui emprisonne les particules. L’herbe en forme de brosse capture la poussière de façon efficace et le Ray Grass sert à la surveillance de l’air. Le thym en fleur du mois de mai a piégé en Provence les retombées de Tchernobyl, sur les gouttes d’huile essentielles à la surface de ses feuilles, comme la Criirad l’a découvert en 1986.

Les secrétions huileuses augmentent pour la floraison des aromates qui a commencé avec le romarin et culmine fin juin, au solstice d’été. Couvrir ces plantes de plastique, ou laisser la récolte 2011 grainer sur pied. Pourvu que ces précautions se révèlent exagérée, qu’on n’en ait pas besoin. Mais il ne sert à rien d’en prendre après.

Avec un peu de chance, l’hiver venu, l’iode 131 ne sera qu’un mauvais souvenir. La Criirad a annoncé que radioactivité de l’air semblait diminuer aux Etats-Unis, ô très peu, le 7 avril. Mieux vaut de toutes façons se garder de la menthe, du persil, du basilic, et autres merveilles parfumées cultivées en ville, dans les gaz d‘échappement, les bris de systèmes de freins, les fragments de pneus au cadmium, et le fer des rails et vélos.

Marie-Paule Nougaret

Les références scientifiques de cet article se trouvent dans  le livre  de l’auteur : La cité des plantes, en ville au temps des pollutions (Actes sud)


[2] commission de recherche et d’information indépendante sur les radiations, : http://balisescriirad.free.ft

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