La ruche anti- varroa

L‘arrivée en France d »un acarien destructeur de l‘abeille, le varroa, a découragé nombre de petits apiculteurs qui refusaient les insecticides. Mais l‘apiculture d‘amateur revit grâce au nouveau moyen de contrôler le parasite : le plancher grillagé.                                   

rosapisLe virus les a pris vers l‘âge de quatorze et quinze ans, en aidant le mari de la bibliothécaire de Mazamet. Bientôt les frères Dupeley, Frédéric et François, passaient des jours entiers auprès des ruches. C‘étaient les années 70. L‘apiculture restait affaire d‘amateurs. Elle rapportait, estimait-on, 4 millions de F., bon an, mal an, en récoltes pollinisées par les abeilles, sans parler du miel, ni du service qualitatif : beauté et régularité des fruits. En ce temps  là,  les pommes, en grande culture, recevaient quinze traitements de pesticides par an au lieu de trente de nos jours. Les petits paysans, nombreux, ne traitaient pas; car les abeilles risquaient de mourir en sirotant du nectar pollué, avant de rentrer à la ruche, du fait de leur métabolisme ultra rapide. Le miel ne pouvait pas contenir d‘insecticide. Le varroa n‘avait pas contourné les Alpes pour entrer en Alsace, par la route des invasions.

En 2006, les Dupeley ont gardé quelques ruches dans le Tarn, chez leurs parents. François habite Toulouse mais Frédéric près de Paris : ses abeilles lui manquent. Alors il va aux réunions d‘apiculteurs d‘Ile de France et selon lui « beaucoup ne traitent plus. Ils ne s‘en vantent pas, ils mènent leurs expériences.». Lui-même et son frère savent une ruche non traitée depuis 1993, qui a donné 40 kg de miel l‘an dernier. «<Pourtant elle aurait dû crever, c‘est officiel. Toute ruche non traitée mourra du varroa.». Au reste leurs autres ruches se portent bien. Ce résultat, son frère et lui le doivent, selon eux, au plancher grillagé. Peu à peu cette technique se répand. Mais l‘apiculture dilettante, toujours prudente et adepte du secret, a failli disparaître. Désormais, des centaines de ruches peuvent vive  dans un même camion, qui voyage, à la demande, afin de polliniser les champs.

Responsable, le varroa. Cet acarien que les anglo-saxons appellent « mite », originaire d‘Indonésie, vivait sans trop de dégât sur Apis cerana, l‘abeille mellifère asiatique. En effet, celle-ci s‘épouille vigoureusement, si l‘acarien s‘avise de la piquer pour sucer l‘hémolymphe qui tient lieu de sang aux mouches à miel. Au besoin, d‘A. cerana alerte ses sœurs par une danse codée, a montré Y.S. Peng de l‘université (publique) de Davis, en Californie, et la chasse devient collective. De plus, le varroa qui entre dans le couvain (les oeufs) de reine pour se reproduire, subit le même sort; si bien que les deux populations du parasite et de son hôte cohabitent à peu près.

Hélas, l‘abeille européenne Apis mellifera ne montre ni ce comportement, ni les mandibules acérées qu‘il exige. Le varroa la vide tout à son aise. La taille de l‘animal qui lui colle ainsi à la carapace, entre deux segments de l‘abdomen, représente le tiers de la sienne « comme si on avait un rat sur soi» disent les apiculteurs qui le supportent assez mal; et comme sa reproduction mutile le couvain, la bête liquide une ruche en trois ans.

Varroa Jacobsoni (ou destructor) aurait muté pour passer sur l‘abeille européenne. Rien n‘est moins sûr. Yves Le Conte de la station l‘INRA de Monfavet, près d‘Avignon, a cherché en vain trace de variabilité et tient les varroas (du moins d‘Europe et d‘Amérique) pour des clones. Leur mode de reproduction l‘explique : la femelle varroa qui attend dans l‘alvéole de cire où la reine des abeilles ira pondre, engendre d‘abord un seul mâle varroa. Les filles varroa, nées de leur accouplement incestueux, suceront une larve d‘abeille au même trou dans l‘abdomen de celle-ci. Gérard Donzé, du riche laboratoire fédéral suisse Liebenfield, a filmé leur vie de famille dans l‘alvéole scellée de cire. Seules en sortent les filles varroa, sur l‘abeille formée, épuisée de tortures : on ne trouve jamais que du varroa femelle en liberté.

Les lignées d‘abeilles, en revanche, peuvent s‘hybrider, lors du vol nuptial de la reine avec les faux bourdons (abeilles mâles). L‘apiculture pratique la sélection et même l‘insémination artificielle. Par exemple, les Dupeley préfèrent la Buckfast, une race moderne, calme et très nettoyeuse. Le varroa aurait profité de l‘introduction délibérée en Allemagne d‘abeilles des Balkans précoces, très peu sensibles au froid. A partir de 1982, son avancée en France entraîne une hécatombe. Toute une génération de «pépés-apiculteurs» laisse tomber. Les autres maladies, ils savaient les soigner en gardant la colonie jeune par le changement de reine, ou la capture d‘essaims sauvages; ou en veillant à l‘alimentation : plantation d‘espèces mellifères et d‘arbres dont les bourgeons secrètent des résines pour la propolis, le désinfectant- maison des abeilles. Mais introduire un pesticide dans la ruche, ils s‘y refusent. Et ce n‘est pas seulement une question d‘argent :

La lutte classique emploie un pyrèthrinoïde (molécule copiée du pyrèthre végétal et renforcée chimiquement) sur une languette de polymère déposée dans la ruche. L‘apiculture biologique autorise le thymol, et les acides oxaliques et formiques, tous produits certes naturels, donc sans résidus, mais très toxiques : gants et masques de rigueur. On imagine l‘impact, bien plus violent encore, sur des abeilles. Difficile de traiter des insectes aux insecticides sans leur nuire : les apiculteurs sensibles préfèrent les laisser à leur sort.

DSC00927Décembre 1992, l‘Abeille de France publie la lettre de Michel Belin, amateur très féru, docteur biologie, appelé à la rescousse par des maçons pour enlever deux essaims très agressifs, suspendus à 4 et 8 m. du sol, sur la façade du château de la Motte Ternant, en Côte d‘Or. Ne pouvant les garder, il les a détruits, non sans les étudier. Il estime leur âge à 2 et 7 ans. S‘étonne de leur survie par un froid de -15 C le matin de la capture. Dit sa stupéfaction que l‘un n‘ait contenu qu‘un seul varroa et l‘autre aucun. Les frères Dupeley s‘interrogent : et si le froid éliminait l‘acarien tropical ? Les ruches sauvages ne comportent pas de fond. Les leurs n‘en auront plus, seulement un grillage contre les prédateurs. Or Belin suivra la même démarche de son côté.

Ce printemps 2006, François Dupeley, visitant ses huit ruches, a trouvé un seul varroa. On lui dit que ça tient à l‘environnement. Certes la colonie occupe un coteau sud, à l‘orée de la Montagne Noire, pays de terres pauvres et de forêts, loin des cultures industrielles. Pas de Gaucho, ni de Régent, ni de Poncho, ces produits « systémiques« , où l‘on trempe les semences de maïs et de tournesol, pour rendre leur sève toxique aux ravageurs (et aux abeilles pestent les apiculteurs). Mais selon lui, le varroa, long d‘1mm, se déplace sur l‘abeille suspendue et, quand il l’a vidée, tombe dans les trous de 3 mm du grillage puis de là sur le sol, 40 cm plus bas, où il mourra de faim. Alors les fourmis viennent le manger. Tandis que dans le fond des ruches ordinaires, les acariens re-sautent facilement sur une abeille posée sur le plancher. Il faut donc un plancher entièrement grillagé  (pas de bordures, entièrement grillagé).

A l‘INRA d‘Avignon, le plancher grillagé existe, mais au dessus d‘un tiroir où l‘on étend un linge gras. C‘est seulement l‘outil pour piéger et compter des varroas. Une installation de ce type, testée à Monfavet, a montré une baisse du taux d‘acariens d‘à peine 10 %. Le Conte a préféré traiter la ruche.  Il n‘envisage pas pourtant d‘installer ses abeilles sur du vide, car le mistral, selon lui, souffle trop froid. Pourtant la Montagne noire se montre aussi très rude. La nuit tombe tôt dans la vallée des Dupeley; et cet hiver la neige y a cassé tant d‘arbres que l‘on a déclaré le secteur sinistré. En fait, pour les partisans de la technique, les basses températures, qui retardent au printemps la ponte de la reine, limitent la reproduction du varroa. Dès 1998, selon la lettre Apis, de l‘Université (d‘Etat) de Floride, des planchers entièrement grillagés donnaient en Allemagne les mêmes résultats.

Le Conte suit pour l‘INRA, depuis 2000, des ruches anciennes à l‘abandon . Il en a trouvé 112 «présumées résistantes au varroa» à travers le pays, mais ne dispose pas de budget pour étudier leur génétique. Car la question se pose : y aurait-il eu adaptation ? Le varroa, lui, on l‘a vu, n‘a pas muté. Mais peut-être se sent-il à l‘étroit dans les alvéoles de plus en plus denses et bouchées (quand ils s’en occupent, les apiculteurs ôtent la cire). Les abeilles prospèrent si on les laisse en paix, là dessus les chercheurs comme les amateurs semblent d‘accord.

Marie Paule Nougaret.                                                                                                                           © photos, mpn, merci aux abeilles pour les potimarons et au service de presse de l’Inra pour la documentation.

© photos mpn , merci au service de presse de l'INRa pour le document.

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