In English here
1988, exclusivité mondiale, par hasard : une journaliste pouvait rencontrer Stephen Hawking deux heures. Et puis ce fut fini.
In English here Stephen Hawking est un être de légende. Fils spirituel d’Einstein atteint de paralysie, comme pour expier le péché de la physique – la Bombe -, son esprit supérieur démonte patiemment les mécanismes de l’univers. Tel nous le montrent les media. Trouvera-t-il un jour la formule cachée qui unit les théories de la science? «Lit-il les pensées de Dieu?» s’est demandé Newsweek. Le monde de l’édition vibre sous le choc du succès populaire de son traité, A short history of time* , Brève histoire du temps. Beau titre, vite épuisé. Livre écrit en anglais par le mouvement limité, imperceptible, de deux doigts, sur un petit boîtier relié à un écran. Après la sclérose multiple, après la trachéotomie qui lui ont volé le geste et la parole, Stephen Hawking donc, subit la gloire, qui prive de vie privée. Mais, que se montre-t-il ? à le voir sur les photos, assis tout empoté dans sa chaise roulante, l’épaule de travers, un sourire de terreur sur son visage las, je n’avais aucune envie, mais aucune, de le rencontrer.
C’était l’idée de Globe. Personnellement la physique me tue. Je me souviens du bac : avaler en deux mois le programme depuis la seconde. Car c’est une pyramide : si on ne connaît pas les bases, impossible de s’amuser dans les hauteurs. N’ayant jamais rien su par cœur, pas même les tables de multiplication, virée du cours depuis Noël, je décrétai la physique fastidieuse. J’eus la meilleure note de l’académie, un mois plus tard j’avais tout oublié. Un an plus tard, je décidai que les maths tournent en rond, comme une spirale d’Archimède, dont l’équation est si belle que je me suis arrêtée là. Pourtant, j’ai lu le livre de Stephen Hawking, et vous aussi l’aimerez.
« Un grand savant anglais (on dit parfois Bertrand Russel) donnait un jour une conférence d’astronomie. Il expliquait comment la Terre tourne autour du soleil, et comment le soleil, à son tour, tourne autour du centre du grand amas d’étoiles que l’on appelle notre galaxie. A la fin de la conférence, une vieille dame se lève au fond de la salle et dit : « vous dites des sottises. Le monde est en réalité un disque plat posé sur le dos d’une tortue géante ”. Le grand savant émet un sourire condescendant : “et cette tortue, sur quoi se tient-elle, Madame? » “Ne faites pas le malin, jeune homme, répond elle. Vous êtes très malin, mais c’est la tortue jusqu’en bas ! »»
Pardon monsieur Hawking, de vous voler vos effets, le début délicieux de votre premier chapitre, c’est pour vous présenter aux lecteurs. J’espère que la traduction vous agrée. Il y faudrait un poète. Je crains qu’un physicien n’ajoute des images. Il faut, pour ne pas vous trahir, un maître de la concision (je ne mets pas sur les rangs). Merci de nous expliquer Newton et Albert Einstein comme personne, et pour le plaisir vengeur de voir le succès venir à qui fait encore crédit à l’intelligence des gens.
C’était l’idée de Globe, pas la mienne. Dès le début de l’été, avant l’explosion de la bombe devant la porte du journal. Avant de lire Hawking, et qu’il soit un best seller. J’aurais bien préféré pondre le papier magistral sur l’abandon de la botanique en France; montrer la mort du Jardin des Plantes de Montpellier, l’un des deux plus anciens du monde, dénoncer une politique scientifique à courte vue. Citer l’Université du Wisconsin, l’Institut Botanique de Moscou, les Japonais à Paris, béats devant la vigne sur le vieil hôtel de poste que l’on va démolir, âme du Muséum moribond. Peindre les sommités scandalisées de l’état de nos collections. Mais Globe voulait Hawking. Un physicien en plus : autant dire l’ennemi : la physique a ruiné la recherche publique. La biologie pouvait crever. L’écologie n’est plus. Pendant que ce malade joue à Dieu sur sa chaise roulante, 3O ha de forêt tombent à la minute; un quart de la flore est condamné**; le remède de la leucémie enfantine, une fleur tropicale, ne pousse déjà plus dans son habitat, devenu un désert. Peut-être perdons nous, à cet instant précis, la plante qui peut guérir ce physicien à roulettes ou le SIDA. Voilà ce que je pensais de la riche idée de Globe. Mais l’été est passé, j’ai vu Stephen Hawking, et, par conséquent, je me fais du souci pour lui.
Les raisons qui m’ont fait accepter ne sont pas des plus claires. Il y a la bombe devant le journal, un vieux conseil de Bob Dylan : «ne te fie pas aux flics en imper. Si l’on te demande ce que tu fais, dis que tu es un mathématicien exact.»***. Une révolte ancienne contre un prof de math obtus qui enfonçait l’incapacité dans la tête des élèves (comment la résignation s’imprime dans le cerveau mou des enfants est proprement vertigineux). Et pour couronner le tout, la découverte ahurie de la pollution des mers, le temps d’une floraison d’algues toxiques, par la presse ânonnant de vagues notions d’écologie. J’étais loin du niveau mais fuir, agir, changer d’air, rencontrer un génie.
Il faudrait montrer patte blanche. La bonne fée, ma marraine, s’est occupée de tout. Un matin de soleil je me suis retrouvée sur la pelouse piquée de boutons d’or du parc de l’Observatoire de Meudon. « La science est d’abord un jeu» disait Jean Pierre Luminet, jeune physicien d’une santé rayonnante, tandis que les canards décollaient et se posaient sur l’étang. Qu’on puisse travailler dans un endroit pareil me semblait merveilleux. Il y avait même un potager avec des delphinium annuels, sauvages, qu’aucune main assassine n’était venu désherber.
On parlait du Big Bang. Ce n’est pas tout à fait ce que je croyais. Disons, tout simplement, une phase très chaude, à un moment donné du grand début de tout. Pas le début, une phase. L’explosion, semble-t-il, continue. L’univers est en expansion. Les galaxies s’éloignent, au moment où j’écris. On le sait depuis I929, je viens de le vérifier dans Hawking (grâce à lui, dès demain, je bazarde deux bouquins; ce manuel vaut une encyclopédie, index compris). Plus les galaxies sont loin en fait, plus elles fuient. Edwin Hubble l’a découvert, en I929, en analysant leur lumière. «La théorie du Big Bang était bien antérieure,expliquait Luminet sous les arbres, mais la cosmologie, l’étude de l’univers, était considérée jusqu’alors comme un pur jeu gratuit». Autre indice d’explosion, le rayonnement du fond du ciel à 3° Kelvin (-270° C.), écho de la grande déflagration, découvert dans les années 60. Tertio, l’abondance de l’hydrogène et de l’hélium, exigeant une phase chaude et concentrée. «Ces éléments légers n’ont pas pu se former dans les étoiles qui fabriquent tous les autres éléments; car nous somme constitués de morceaux d’étoiles». Je trouvais ça très beau, mais, sur quoi se fondait-on? «sur la compréhension des réactions nucléairesrépondait Luminet, les mesures sont assez précises pour que l’on puisse dire que l’univers a dû passer dans tel domaine de température pendant une centaine de secondes. Disons que c’est sûr à 99%. Stephen Hawking s’est intéressé, lui, à ce qui s’est passé avant la phase chaude. A l’état plus primitif de l’univers. La théorie de l’expansion a beaucoup évolué ces dernières années. Elle est née dans les années 20. C’est un mathématicien russe, Friedman, qui a donné les solutions cosmologiques des équations d’Einstein de la relativité générale…»
Stop, moment de réflexion. Imaginez Cambridge, au nord de Londres, ville étudiante hérissée de flèches gothiques, avec les statues dorées sur les portes crénelées, les fenêtres à meneaux, les boutiques de mode, dans un climat glacial; la chaise roulante du professeur Hawking garée devant l’ordinateur, sous les néons; l’unique porte du bureau fermée sur la cafetaria, tout à tour vide et bruissante. Le professeur pèche des mots sur l’écran. Il écrit Brève histoire du temps : «le concept de temps n’a aucun sens avant le début de l’univers. St Augustin fut le premier à l’indiquer. A la question : que faisait Dieu avant de créer l’univers? Augustin n’a pas répondu : Il préparait l’Enfer pour ceux qui osent de telles questions. Mais bien plutôt : le temps est une propriété de l’univers que Dieu a créé, le temps n’existait pas avant le début de l’univers».… pour les théoriciens le temps s’inscrit sur un axe de coordonnées, dans la géométrie courbe d’Einstein, où, pour aller tout droit, la Terre tourne autour du soleil.
Retour sur la pelouse de Meudon. Luminet parlait d’or. «les équations d’Einstein disait il, relient la géométrie de l’univers à son contenu matériel. Elles sont extrêmement complexes. On ne peut pas les résoudre dans leur généralité; pour trouver des solutions il faut des simplifications…. Hawking s’est d’abord intéressé aux singularités. Les singularités, dans une théorie, c’est l’apparition de l’infini. Cela signifie, en général, que la théorie est appliquée hors de son domaine de validité; les physiciens n’aiment pas les infinis : c’est la négation de toute loi physique. Il y avait des singularités dans certaines solutions des équations d’Einstein. Précisément dans les solutions de trous noirs****. Et puis, dans les solutions cosmologiques, une singularité initiale : un début du temps, avec une température infinie et une densité infinie de la matière, découlant de la courbure infinie de l’espacetemps. Ces singularités étaient-elles un produit mathématique, dû à une trop grande simplification des choses? le grand résultat de Stephen Hawking et Roger Penrose a été précisément de montrer qu’elles faisaient partie intégrante de la relativité générale. Que, moyennant quelques hypothèses, assez plausibles, qui ne sont pas simplificatrices, des singularités devaient apparaître; ça ne veut pas dire qu’elles existent; le physicien veut quand même éliminer les singularités; ça veut dire plutôt que la théorie de la relativité devient invalide, dans certaines conditions extrêmes, près de l’instant zéro de l’univers et au voisinage des centres de trous noirs ».
La démonstration eut lieu en I97O. «Ensuite, Hawking s’est intéressé aux trous noirs. Il a eu une bonne idée… ». Ce travail de près de vingt ans devait déboucher sur des « fiançailles monstrueuses » entre la relativité générale, qui décrit les phénomènes à grande échelle, comme la gravitation des planètes, et la mécanique quantique, qui traite des particules élémentaires, de l’infiniment petit. Ces deux théories ne sont pas du même monde : l’expérience pour les unir demande la construction d’un accélérateur de particules plus grand que le système solaire. Les deux fonctionnent pourtant : la mécanique quantique sous tend l’électronique. La relativité générale s’intègre aux données des satellites précis qui mesurent la Terre à 5 cm près. Mais on est loin de les marier en équations – de l’avis général, mister Hawking excepté.
Luminet, qui a consacré un livre aux trous noirs ****, m’a décrit un système d’étoiles doubles, dont l’une, la petite, l’invisible, pourrait bien être l’un de ces trous voraces, une étoile effondrée qui aspire la grosse : «chacune tourne autour de l’autre, comme la terre et le soleil…» Pardon? «Le soleil tourne aussi un peu autour de la terre : deux corps tournent autour de leur centre de gravité commun; le soleil étant bien plus massif, le centre du gravité du système terre soleil coïncide presque avec lui» … Hélas, si j’avais lu Newton, je ne commettrais pas de telles erreurs. Mon dictionnaire, toutefois, n’est guère mieux qui ignore madame du Chastelet, auteur de la traduction, en I759, de Philosophiae Naturalis Principia Mathematica d’Isaac Newton (1687), livre le plus important de l’histoire des sciences, fondant la théorie de la gravitation. Les femmes doivent combattre jusqu’aux préjugés de la postérité. Avant de quitter Luminet je posai la question qui me brûlait les lèvres : Hawking est-il Le meilleur ou un malade fascinant? «Peut être les deux …. Il semble que sa maladie l’ait obligé à se concentrer sur les véritables problèmes. Que peut-il faire d’autres que penser?… seulement Hawking pense… mais il trouve!»
J’allais frapper à la porte de Thibault Damour dans mes petits souliers. Damour était le seul Français invité pour le tri centenaire de la publication du de Principia…etc. Le professeur Hawking occupant à Cambridge la chaire de Newton, Damour est donc notre meilleur spécialiste de la gravitation, cqfd. Ce métier de théoricien ne demande qu’une tête, du papier et un crayon «c’est pour ça que je l’ai choisi» me dit-il, précisant que l’ordinateur lui servait de boite à lettre. Je tremblais à l’idée qu’il me prenne pour une journaliste vampire assoiffée de malheur, mais non :« allez voir Stephen. Je pense que ce livre est une très bonne chose, pour lui, pour tout le monde. Il apprécie les contacts humains; il est tellement isolé…». Damour a passé l’après midi à me donner une idée de la méthode des intégrales de Richard Feynman, utilisée par Hawking en cosmologie quantique, la nécessité de l’emploi du temps imaginaire (dont le carré est négatif) pour tourner le principe d’incertitude qui m’a toujours enchantée (on ne peut à la fois connaître la position et la vitesse d’une particule, prendre une mesure perturbant la trajectoire de ce corps). Aussi beau que Robert Redford sur les photos, « Rick », l’Américain Richard Feinman, était adulé de ses étudiants.
Avec les bénédictions du physicien théoricien, j’emportai son article sur la Relativité Générale*****. Einstein, raconte-t-il, en a tiré l’intuition d’une rêverie, où il s’imaginait tombant d’un toit : le chapeau, le portefeuille, les clés et lui même (bouche fermée j’imagine, pour ne pas se mordre la langue) arrivaient tous en bas, en même moment. Au milieu du texte un peu hermétique mon oeil critique relevait « fortuit mais significatif« , « magique« , horreurmétaphysique » « zoo astronomique » et « providentiel« , toutes formules rares dans La Recherche. Je rédigeai en tremblant un téléfax pour Cambridge. Deux jours plus tard, mon répondeur annonçait que le professeur Hawking serait heureux de me voir « any day, after four« .
Malgré les insistances de Globe je n’avais pas lu l’article sur Einstein dans Les temps modernes******, dont la description d’Hawking m’aurait glacée d’effroi. Je pouvais avaler cinquante pages d’Histoire du temps par jour, et tout oublier dans la semaine; j’avais repris le début trois fois, sans en épuiser les beautés. Bref, c’est d’une aile insouciante que je m’envolai. A l’avion, hasard objectif – mes amis Hélène et Patrice F. – lui dans un fauteuil roulant-je savais qu’il avait eu un accident mais… «rassurez vous je marche; c’est seulement pour les aéroports. J’ai beaucoup de chance». Hawking le dit aussi : à part la sclérose et la trachéotomie, j’ai eu beaucoup de chance – et moi donc, assez pour me convertir au bouddhisme tibétain… passage de la douane à Londres sans attente, Patrice étant dans un fauteuil roulant. Cambridge s’affairait dans un froid de canard.
Stephen Hawking dans la chaise roulante derrière la table, pâle, frêle, les yeux au sol. La timidité incarnée. La dame en blanc au fond, sous la fenêtre, avec son tricot : « mettez vous près de lui, et présentez vous».Je m’assieds à sa droite en décidant de révéler mon âge à la tête inclinée vers moi sur le dossier – un regard d’amitié des plus grands yeux du monde dit merci. Un regard de bébé : je t’aime, ne me fais pas de mal. Les cils blonds se referment : Hawking fixe l’écran, à gauche, où des mots défilent trop vite, je ne vois rien. «How are you? » d’où vient la voix d’homme? «pas mal, à part le froid (en fait je suis bourrée de drogues pour ne pas lui cracher dessus et le tuer). «La version française du livre est-elle sortie? » « Non; j’ai le bouquin avec moi, tout griffonné»; j’ouvre le sac à l’envers; le contenu se répand à mes pieds. La dame derrière moi rit doucement, les grands yeux gris aussi. «L’avez vous compris?»La voix est très en retard. « Pas sûre d’avoir tout saisi. Puis je poser des questions ? » «yes» …« ce système est génial» dis je, réalisant soudain : les belles mains jointes sur le boîtier ne bougent pas, un effleurement suffit pour sélectionner un mot dans la partie supérieure de l’écran; le mot s’inscrit en bas, au bout de la phrase. Hawking écrit très correctement, sans oublier un point, ni une majuscule. Il a arrêté la voix et continue par l’écran, à donner les réponses les plus confidentielles que l’on puisse rêver. Grand sentiment d’intimité. Voilà comment il les a tous piégés.
Globe : «vous avez écrit : « »si tout dépend fondamentalement de tout dans l’univers, peut-être ne peut-on approcher de la solution complète par l’étude isolée des parties du problème. C’est pourtant ainsi que nous avons progressé… nul besoin de connaître la structure des planètes pour calculer leur orbite » ». L’espace temps n’est il donc pas affecté par tout ce qui se passe dans l’univers? Hawking : si, mais pas tellement. De sorte que l’on peut considérer l’espace temps comme plat, en première approximation, puis calculer la petite courbure introduite par les corps massifs». Les yeux de mon nouvel ami vérifient que j’ai compris. Tout va bien. Globe : «Une seconde après le big bang , la température de l’univers serait tombée, à dix mille millions de degrés. Mille fois celle du centre du soleil mais, écrivez vous, on atteint de telles températures lors des explosions de bombe H… -le soleil n’est pas si chaud que ça. S’il l’était, il brûlerait aussi vite qu’une bombe.» je suis ravie, mais pour lui, quel effort. Il souffle, il sursaute, son système endocrinien est complètement déréglé. Si j’ai une mauvaise pensée, il tombe raide mort. «Avez vous mal?» « non» dit la voix sans réplique.
Globe: «Vous mentionnez à deux reprise la « matière sombre ». S’agit-il de matière qui n’émet pas de lumière ou ne peut en émettre? –le terme matière sombre est employé pour dénoter… »stop. Nouvel écran. «Voulez vous faire entrer ce mot : / dénoter/ dans votre lexique ? votre avez déjà 2750 mots, vous pouvez en ajouter 25. »Il pèse le pour et le contre, longuement … «dénoter la matière non encore détectée, dont nous pensons qu’elle pourrait bien être là. Peut être sous la forme d’étoiles trop faibles pour qu’on les voie, ou sous la forme de particules élémentaires. Peut être y a t-il très peu de matière sombre et peut être y en a t il assez pour que l’universs’effondre» regard intense, comme un cri.
Globe : « Je suis curieuse des nombres fondamentaux aux quels vous faites allusion (les yeux sourient) la taille de la charge électrique de l’électron…Hawking : C’est 1 / 137, nous ne savons pas pourquoi. Mais s’il en allait différemment, nous ne serions pas ici» regard appuyé. « -le rapport de masse entre le proton et l’électron…- 1 : 1830, je crois.–comment peut -on affirmer que le monde contient1 suivi de 80 zéros particules ? – Il se peut que l’univers en contienne plus. C’est le nombre pour la partie visible. Nous connaissons la taille de la partie visible et la densité approximative de particules.
– Einstein a t-il reconnu qu’il s’était trompé en essayant de décrire un univers statique ? Pouvez vous me laisser……une minute» j’ai cru qu’il me chassait définitivement.
L’infirmière est venue me chercher dans la cafétaria déserte ornée des photos grises des grands prédécesseurs. Déjà six heures. Où étions nous? Einstein… :« – Einstein a dit quelques années plus tard, que la constante cosmologique était la plus grosse erreur de sa vie . -Donc quand vous le dites dans le livre, c’est une citation» Approbation…« Vous donnez comme exemple de l’entropie l’effort nécessaire à la lecture de votre livre qui augmente le désordre de l’univers de vingt millions millions millions millions d’unités. Quelle est l’unité de mesure du désordre? La réponse à une question de réponse oui ou non est une unité d’ordre. Si l’univers contient n unités de désordre, cela signifie qu’il peut se trouver dans 2 multiplié par lui même n fois, 2n états différents.
– Vous écrivez que le temps imaginaire est peut être le seul vrai temps… » les yeux sourient «-Je dois mener mes affaires en temps réel. Le temps imaginaire, c’est pour la physique seulement. – Croyez vous que la vie existe ailleurs dans l’univers ? –Peut être mais si des êtres très avancés s’y trouvent, pourquoi ne nous ont-ils pas contactés? je ne crois pas les OVNIs viennent de l’espace. Si nous étions visités, je pense que ce serait bien plus évident.
– Les exobiologistes disent que l’on va trouver la vie organique sur Europe, un satellite de Jupiter… –Ce serait excitant, mais je pressens que non. Mars était un lieu plus vraisemblable, mais on n’a rien trouvé. – Cette recherche vous paraît-elle vaine? il faut continuer de chercher, même si on ne trouve rien».
– vous citez la vision antique des civilisations, régulièrement détruites par des cataclysmes. Vous croyez au progrès des sciences. Croyez vous à celui de la civilisation?» Hawking (content) : «Le rythme du progrès scientifique est bien plus rapide que celui de l’évolution biologique. Le comportement humain est gouverné par des facteurs génétiques» regard vers moi « en partie. Cette part là de notre comportement ne va pas changer. Elle risque de nous détruire tous avec les armes que le progrès scientifique a rendu possibles. – Ce que vous dites de la biologie peut faire penser que vous la réduisez à la chimie… Oui. je crois qu’on peut tout expliquer par la biologie moléculaire, qui n’est que de la chimie.
– Les êtres vivants entiers ont des propriétés que n’ont pas la somme de leurs composants …-On peut le dire aussi des ordinateurs, mais vous ne pensez pas qu’ils ont une âme» regard hyper violent. Une violence de chat furieux.
-Mais qu’est ce qui a bien pu vous pousser à écrire ce livre?Je voulais expliquer aux gens les progrès excitants de la science. La science affecte la vie de chacun, il faut que nous comprenions tous un peu. Et(très déterminé) je voulais de l’argent pour payer l’école de ma fille. Mais quand j’ai eu terminé, elle etait sur le point de quitter l’école.– ça a pris combien de temps? six……ans,
– Je le crois, c’est très écrit… écrire est- ce moins agréable que les maths? – J’ai plaisir à écrire.
-Vous avez parlé de destruction par les armes modernes. La physique peut elle être indépendante de l’establishment militaire?» ha ha! disent les yeux, nous y voilà «mon travail est sans utilité pour les militaires.– Un ami journaliste a enquêté au CERN*******, entreprise en principe pacifique. Il a découvert que les fabricants d’appareils pour l’anti matière sont les mêmes que les fabricants d’armes» Long silence. «Je ne crois pas que les accélérateurs les intéressent. Et mon travail ne leur est d’aucune utilité, aucune.
-Revenons à la biologie : la biosphère perd en ce moment de la diversité, nous perdons les gènes très vite. Des biologistes disent que c’est à force d’analyser, de ne plus voir la plante ou l’animal entier, mais les mécanismes biochimiques, que l’on ne fait rien pour protéger les espèces menacées – on va peut être pouvoir recréer la diversité . -Pour transférer un gène, il faut en disposer… –Nous espérons faire bien mieux. Mais je dois encore opérer dans le vrai temps et ma femme m’attend.»Déjà sept heures. «- Vouliez vous ajouter quelque chose? les mots sont arrivés un à un lentement : That would take forever». On n’en finirait jamais.
C’était plutôt gentil. J’ai fait une photo de ses yeux doux.
Puis il a paniqué. Je n’oublierai jamais cette vision de terreur : tête tombante, bouche ouverte, les yeux au ciel. Voilà le prix. L’infirmière a remis la tête à sa place. De nouveau le regard innocent. « Veuillez excuser l’accent américain de ma voix» . Trop sympa. – je suis très émue ai je dit. J’avais envie de l’embrasser comme un bébé, j’ai effleuré sa main. En partant je lui souhaitai «bon passage dans la vie». Mais rien. Les yeux baissés. Il m’ignore. Je suis oubliée. Comme je fermai la porte la voix a répondu très fort, avec un accent américain : «merci».
1988 Paris, Cambridge © Marie-Paule Nougaret
notes :
* a short history of time, 198 p. Bantam books, Londres, I988
** selon l’UICN, Union Internationale de Conservation de la Nature, 60 000 plantes sont en voie d’extinction, soit un quart de la flore recensée (250 000 espèces)
*** Advice to geraldine for her miscellanous birthday in Bob Dylan Writings and Drawings, I973, Random house, New York.
**** Les trous noirs sont des états de la matière si dense qu’elle s’effondre. Pour un point très actuel sur la question, consulter « lers trous noirs » de Jean Pierre Luminet, aux éditions Belfond, Paris I987.
***** Thibault Damour, La relativité générale, in la Recherche n° I89, juin I987
****** Roy Liskar, «Einstein In memoriam» in Les Temps Modernes, decembre I979.
******* CERN Centre Européen de Physique Nucléaire, situé près de Genève, sur les trois frontières Italo- Suisse -Française, lieu d’experiences de physique théorique. Le journaliste était Patrice Van Eersel d’Actuel.